Une vie folk

Il y a plein de choses à vous raconter sur la vie d'un artiste musicien folk.

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Par Marc Verwaerde
16 avr. · 4 mn à lire
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Quand c'est long, c'est bon ?

Je ne parle pas ici de la longueur de mes récits hebdomadaires, mais du délai entre la composition et la sortie officielle d'un album.

Coucou toi,

Alors que je me projette déjà dans une série de concerts dont je dévoilerai les dates prochainement (j’ai hâte !), je prépare déjà le répertoire musical à défendre pour faire de chaque prestation un moment “de qualité”, une “sublime délectation” pour paraphraser Fabcaro.

Ce répertoire sera composé à 80% de chansons déjà sorties, histoire que vous puissiez les ré-écouter chez vous à la suite du concert. Cela veut forcément dire que je chanterai en grande majorité des chansons composées avant 2021, puisque le délai entre composition et sortie de chansons est si peu compressible.

Mais pourquoi est-ce si long de sortir une chanson ?

Je vais tenter de rendre cette newsletter intéressante pour tout le monde. Traitons une information de manière objective et universelle, de façon à ce que ça puisse faire écho à vos propres domaines d’activité. Un truc auquel vous pourriez vous rattacher (un truc “you could relate to” diraient les anglais et les américains, c’est tellement plus classe, avouez).

Pour ceux qui veulent la version courte : compter 1 an et demi entre la composition et la fin de l’enregistrement. 2 ans et demi entre la composition et la sortie d'un album. Pour ceux qui veulent la version longue, poursuivez la lecture :)

Le temps de la composition

Je vais donner une définition totalement personnelle de l’acte de composer une chanson. Selon moi, la composition consiste en l’écriture d’un texte, l’identification d’une mélodie et le placement de couleurs harmoniques par-dessus. Ce travail peut prendre entre 15 minutes et 3 jours. Mais ceci n’est que le début d’un long chemin.

Cette superbe chanson "we could make love anywhere", retouchée depuis que je vous en ai parlé !Cette superbe chanson "we could make love anywhere", retouchée depuis que je vous en ai parlé !

Le temps de l’appropriation

Vient ensuite le temps d’appropriation de la chanson : maîtriser correctement son intention, revoir les placements mélodiques, la scansion. Ce travail prend du temps. C’est une question de maturation. Laisser reposer les choses, reprendre l’ouvrage, se sentir en confiance. Si je devais évaluer la durée de ce travail, je dirais que cela prend bien entre 15 jours et 1 mois de “jouage” régulier (minimum une fois par jour). C’est essentiel de passer par cette étape, car souvent le morceau prend une direction plus authentique et naturelle quand il est joué et rejoué avant de commencer le travail de “fixage”. J’emploie des néologismes de mon cru, voyez-vous, je suis un arrrrrtiiiiiste !

Le temps de l’arrangement démo

Une fois ce travail d’appropriation réalisé, vient le moment de le fixer sur un enregistrement “démo”. C’est un moment de vérité, celui où l’on fait des choix assez définitifs, puisqu’ils détermineront la couleur du morceau. C’est pour cette raison-là qu’il ne faut pas trop réfléchir et se laisser guider par la chanson. Souvent, j’enregistre une piste guitare / voix avec un click (un métronome dans le casque), puis je refais ma voix en la doublant, puis la guitare à nouveau avec le “témoin voix”, et je vire la première piste. Ensuite je sors la boite à rythme, la guitare électrique, le clavier et “je cherche”. Ce travail prend entre 1 semaine et 1 mois, selon la chanson et mon inspiration.

La démoLa démo

Le temps de la pré-production

Une fois que la démo est fixée, je sollicite mon comparse Jérôme Gras pour qu’il fasse une écoute critique de la démo. En général, les pistes d’amélioration proposées me permettent d’avancer rapidement. Parfois, je ne peux pas réaliser seul le travail pour améliorer le morceau, cela dépasse mes compétences techniques. Je suis bloqué, et je sais que si un jour ce titre doit sortir, il faudra que je fasse travailler Jérôme sur l’arrangement.

Après cet échange, je reprends ma démo, je réenregistre correctement l’ensemble des pistes, j’affine les nuances, je pose des voix plus convaincantes, j’identifie les sons de claviers les plus proches de ce que je recherche, je peaufine mon mixage, pour avoir une idée aboutie du morceau. Ce travail est un gouffre de temps, un vortex qui m’avale, mais les sessions sont très ramassées, en 2 / 3 jours la “maquette pré-produite” est finalisée.

Le temps de l’enregistrement

Dans le cas de l’album que je suis en train de réaliser avec Yann Arnaud, il y a une étape '“studio”, où il faut déjà avoir soumis un paquet de morceaux “pré-produits” (pour un album de 10 titres, 20 titres à soumettre à peu près). Même si chaque morceau est travaillé en même temps que les autres, en parallèle, on peut aisément imaginer qu’au moins 3 mois se sont écoulés entre l’intention d’enregistrer un album et la réalisation de 20 maquettes '“pré-produites”. Le temps du studio est un temps ramassé (budget oblige) où les sessions se déroulent à la chaîne. Dans le cas de l’album à venir, 3 jours furent nécessaires pour enregistrer 12 morceaux à la batterie / basse / guitare, puis 2 jours pour les claviers / pianos, 2 jours pour les guitares additionnelles, 3 jours pour les voix. Nous sommes rentrés en studio le 8 janvier, et les dernières sessions de voix ont eu lieu le 1er mars : 2 mois donc.

En route pour le studioEn route pour le studio

Le temps de la post-production

Quand l’essentiel de l’ossature de l’album est finalisé en studio, vient le travail de post-production avec l’ajout de “couleurs” supplémentaires grâce à des synthétiseurs, des harmonies vocales, voire même d’autres enregistrements studios potentiels (un trio de cordes ? des cuivres ? des percussions ?…). Dans ce cas-là, il est très difficile de tenir un planning et un budget, c’est le moment où le réalisateur artistique a le plus d’importance dans mon cas : c’est lui qui dira “on s’arrête là”. Dans le cas de l’album à venir, le planning indique que nous aurions fini au 30 mai cette post-production.

Le temps du mixage

Bon, là, je vais évaluer le temps du mixage avec ce que je connais déjà. Le mixage, c’est le moment où l’on choisit de donner un équilibre particulier à chaque instrument dans le spectre et l’espace sonore… Je ne sais pas combien de temps cela prendra pour l’album, mais je pense que ça ira aussi assez vite. Dans le cas de l’EP “a Better Man” (5 chansons), le mixage avait pris en tant que tel une semaine. Puis, j’ai été relou. J’ai voulu qu’on peaufine, qu’on change, qu’on essaie d’autres trucs. Et ça, ça a pris un peu de temps. Mais j'ai appris du passé et je ne serai pas aussi tatillon ! Je projette donc un temps de travail de 1 semaine grand maximum pour l’album, puisque tout est déjà plus ou moins calé et que Yann a une folle expérience en la matière de plus de 20 années à un niveau stratosphérique…

Le temps du mastering

Une fois que chaque titre est mixé, vient le moment d’égaliser les volumes entre les titres et leur apporter une cohérence sonore, un “vernis homogène”. C’est le travail qui est réalisé lors du mastering. C’est un travail assez rapide, même s’il nécessite un équipement assez lourd et une oreille formée à l’exercice. Je ne sais pas combien de temps ça prend, mais j’imagine assez peu. Je vais travailler avec le meilleur homme pour ce boulot dans ce registre à Paris : Chab’. Je pense que pour lui ça sera une promenade de santé. Compter max 2 jours à mon avis.

Et après ?

Vous remarquerez donc qu’entre l’étape de composition et l’étape de mastering, il s’écoule un temps fou. Sur l’album à venir, une des chansons qui a été retenue a été composée au début de l’été 2020. Certes, la plupart des autres chansons sont postérieures à mai 2023, mais bon, nous sommes en avril 2024 et je prévois la fin du mastering pour septembre 2024, soit 1 an et demi de travail en continu sur ce projet.

Après ? Théoriquement, l’album est fini. Les chansons en tous cas sont prêtes à être écoutées. Mais s’il n’y avait besoin que d’audio pour sortir un album, ça se saurait. Vient ensuite (ou en parallèle ?) le moment de réfléchir à l’identité visuelle, s’entourer des personnes compétentes en la matière, aller, venir, changer d’idée,… penser aussi à la vidéo, aux photos d’artiste qui accompagneront la sortie de l’album… Et comme c’est un registre qui m’est moins familier, j’ai tendance à prendre énormément de temps à douter de tout. Pour “a Better Man”, cela m’avait pris 6 mois.

Et puis, sortir un album, c’est bien, mais pourquoi le fait-on ?

Tous les artistes que l’on entend à la radio, à la télé, dans les magazines, disent tous qu’ils créent par nécessité vitale. Je suis d’accord. Mais il faut aussi se nourrir d’aliments solides, se vêtir et dormir à l’abri. Et payer des cordes de guitare... Et puis les artistes qui passent à la radio, à la télé, dans les magazines, ils ont quasiment tous fait le choix de se consacrer à cette activité à plein temps.

Tout ça pour dire que rien ne sert de sortir un album sans essayer de rencontrer un public en face. Je dis bien essayer, car rien n’est jamais garanti. Il faut donc identifier les partenaires capables de toucher ce public, puis il faut les démarcher, les rencontrer, négocier, travailler à un planning de sortie,… bref, tout cela peut prendre entre 6 mois et 1 an, voire plus.

Et voilà que 2 années et demi sont passées entre le moment de la composition et le moment de la sortie de l’album.

Est-ce que ça vaut le coup ?

Oui. Est-ce que ça vaut le coût ? Non. Aller chercher un retour sur investissement avec le nouveau contexte économique de la musique en continuant à faire des albums relève presque du non-sens. Sur Spotify, pour gagner 100 euros, il faut avoir 30.000 écoutes (en moyenne, car les chiffres sont complètement opaques). Après, rien ne nous empêche de rêver aux millions de streams que réalisent les artistes de la folk et du rock indé qui font une carrière longue.

On n’a pour autant jamais vu pari économique plus risqué que celui de se lancer dans une carrière musicale. Heureusement, il reste les concerts, et, de ce côté-là, je vous tiendrai au courant très vite !

A vite,

Marc

Et sinon, rien à voir, mais…

Ecoutez mon pote Julien Shelter, s’il vous plaît.

Juju pour les intimesJuju pour les intimes

Cette chanson est juste incroyable : The Real Me. Lennon réincarné, en mieux.

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